Anéantir, de Michel Houellebecq

Michel Houellebecq est un phénomène dans le paysage littéraire français. Cultivant avec un grand soin son image d’anticonformiste provocateur, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, chacun de ses romans est un événement.

Si j’apprécie énormément la plume virtuose et acérée de l’auteur, j’avoue que son précédent opus, « Sérotonine » (paru en 2019) n’avait pas réussi à me séduire. Au narrateur dépressif et lubrique (des constantes chez l’auteur), il n’arrivait finalement rien de très palpitant et, en dehors de quelques rares passages réjouissants, je m’étais ennuyée.

Ce semi-échec ne m’a pas empêchée de me précipiter dès sa sortie sur ce pavé d’un peu plus de 700 pages. On en profitera pour souligner l’efficacité de la stratégie marketing de Flammarion, l’éditeur de Houellebecq, qui choisit audacieusement de distinguer cet objet-livre de ses concurrents : chaque exemplaire, emballé dans un plastique individuel, empêche toute tentative de feuilletage en rayon de la librairie. La couverture rigide, le signet rouge à la façon des Pléiades ou autres collections de prestige justifient-ils le prix de 26 € en France (ou 45 francs suisses) ? Les avis sont divisés.

Nous sommes en 2027, à quelques mois de l’élection présidentielle française.

Paul Raison, bientôt cinquante ans, est l’un des conseillers privilégiés de Bruno Juge, Ministre de l’économie (la parenté patronymique avec l’actuel ministre de l’économie Bruno Le Maire n’est évidemment pas innocente : Houellebecq s’est inspiré du politicien, par ailleurs un de ses amis proches, pour construire son personnage). Avec Prudence, sa femme, il cohabite distraitement. Éloigné de sa famille, dispersée entre le nord de la France et le Beaujolais, Paul ne vit que pour son travail.

L’AVC de son père va pourtant l’obliger à se rapprocher de sa sœur, Cécile, et de son frère Aurélien qu’il n’a pas vu depuis des années. Alors qu’il abandonne la préparation de la campagne électorale pour rejoindre l’hôpital lyonnais où son père a été admis dans un état critique, une vague de vidéos, postées par des hackers terroristes aux intentions opaques, inonde le Net et inquiète les autorités…

Sans doute faut-il le talent d’un Michel Houellebecq pour unifier dans un seul et même récit des éléments aussi disparates.

Que les adeptes de John le Carré ou de Tom Clancy évitent toutefois de s’enflammer trop vite : « Anéantir » n’a rien d’un thriller politique ou d’un roman d’espionnage, et la traque des mystérieux messagers de la toile passe très vite au second plan.

C’est en effet davantage sur le versant social de son histoire que Houellebecq semble avoir choisi de s’attarder : l’AVC paternel est un prétexte à une critique non voilée du traitement réservé aux personnes âgées dans nos pays occidentaux. Il ne manque pas non plus de fustiger la dictature des financiers et de déplorer l’impuissance des soignants, face au manque de moyens d’un système profondément gangréné. Houellebecq enfonce quelques portes ouvertes, force le trait et caricature, parfois à l’excès, mais sur le fond, mon cœur de médecin ne peut qu’approuver.

Si la majeure partie du livre s’attache à explorer le point de vue de Paul, quelques incursions dans les pensées de ceux qui l’entourent, son frère et surtout sa sœur, notamment, permettent de brosser un intéressant tableau de cette famille en souffrance mais qui, face à l’adversité, fait corps autant qu’elle le peut. L’auteur, qui nous avait plutôt habitués à des personnages grinçants, cyniques, médiocres et désillusionnés, nous offre ici une belle galerie de héros fragiles et émouvants, tendres et aimants. Les parties traitant de politique n’en sont pas moins intéressantes, avec une belle analyse des dessous plus ou moins tortueux d’une campagne électorale.

Quant à la superbe écriture de Michel Houellebecq, elle justifie selon moi à elle seule de lire ce roman. Un ouvrage brillant, plus apaisé que ses livres précédents, mélancolique, philosophique, poétique, même, lors des rêves du narrateur, aussi surréalistes qu’un poème d’Eluard ou un tableau de Salvador Dali.

Pas tout à fait un coup de cœur, mais pas loin…

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