Le pigeon, de Patrick Süskind
Ce très court roman – moins de 100 pages, plutôt une novella, en réalité – de l’auteur du célèbre « Parfum » est une très plaisante découverte.
Jonathan Noël est un homme d’habitude.
Âgé d’une cinquantaine d’années, il occupe depuis son arrivée à Paris, quelque trois décennies plus tôt, la même chambre de bonne exiguë et le même poste de vigile pour une agence bancaire. Il aurait pu, bien sûr, déménager, voire changer de travail. Mais après un début d’existence quelque peu chaotique (que Süskind ne brosse que sur une dizaine de pages), sa chambre minuscule et, dans une moindre mesure, son emploi sont ses « ilots de sécurité, (…) son ancrage et son refuge ».
N’importe quel psy vous le dirait, ce type de comportement traduit une rigidité de caractère extrême, pathologique et, pour tout dire, incompatible avec une vie normale en société. Cela tombe bien, car Jonathan n’a pas d’ami et s’accommode parfaitement de sa solitude. Aucun imprévu, aucune nouveauté ne vient troubler le cours de son existence réglée dans ses moindres détails ; autant de rituels rassurants qui vont, un matin, voler en éclats de la façon la plus imprévisible qui soit :
Devant la porte de sa chambrette se tient un pigeon.
Davantage que l’intrigue, pour ainsi dire inexistante, c’est la finesse du portrait psychologique que Süskind dresse de Jonathan qui m’a séduite. L’auteur force le trait, bien sûr, exagère les travers de cet anti-héros ; de ce minuscule incident, de ce non-événement, le misanthrope déduit l’imminence d’un péril mortel. Sa panique est si intense et disproportionnée qu’elle en devient tristement drôle.
La plume de Süskind traduit remarquablement les angoisses, aussi profondes qu’absurdes, de son héros… et pousse le lecteur à s’interroger sur ses propres peurs, ses propres croyances, sans jamais tomber dans le piège d’un discours moralisateur ou pontifiant. Le style est alerte, les émotions et le cheminement mental de l’unique protagoniste du drame remarquablement rendus, souvent avec humour. Même si la fin pourra sembler quelque peu facile, voire légèrement décevante, on se rappellera que « le pigeon » est avant tout un exercice littéraire de haut vol, un magnifique portrait de personnage, fouillé, minutieux jusqu’à réussir l’exploit de rendre la caricature réaliste.
Un excellent moment de lecture.
Cette chronique est parue initialement sur le blog « Au Plaisir de Lire ». Vous pouvez la retrouver ICI.
J’aime beaucoup le style de Süskind et encore une fois, vous avez attisé ma curiosité!
Bon, j’avoue que la perspective d’être forcément amenée à m’interroger sur mes propres peurs/lubies/faiblesses, ne me réjouit pas particulièrement, -d’autant que la situation de départ me rappelle la douloureuse expérience vécue il y a quelques mois, quand, descendant de la voiture pour déposer mon fils à l’accueil périscolaire, je m’aperçois qu’une oie monte la garde devant le portail… « Reste digne, ton fils te regarde… Gloups… »-, mais je pense me laisser tenter malgré tout 😉
Merci!
Ah ah, j’imagine tellement la scène ! Mais rassurez-vous, ça n’a rien à voir : une oie, ce n’est pas comme un pigeon ; c’est DANGEREUX, une oie. ça justifie d’abandonner la voiture, voire même l’enfant… ce que, n’écoutant que votre courage et votre instinct maternel, vous n’avez PAS fait. Vous avez tout mon respect 🙂