Numéro deux, de David Foenkinos
A moins d’avoir passé les vingt dernières années reclus dans une grotte, impossible de se soustraire, de près ou de loin, au phénomène Harry Potter. Cette saga en sept tomes parue à la fin des années 1990, écrite par une Anglaise inconnue et désargentée nommée Joanne Rowling, connut dès le premier opus un succès mondial ; quant aux huit films qui en furent tirés, ils génèrent, plus de vingt ans après leur sortie, des profits qui ont fait de l’auteure une des femmes les plus riches et les plus influentes de la planète.
Harry Potter est l’histoire de l’enfant qui a survécu. Numéro deux est l’histoire de l’enfant qui n’a pas été choisi.
Dès la page de garde, Foenkinos avertit son lecteur : bien que basée sur des faits réels, cette histoire est fictive, sortie tout droit de son imagination. Sans doute était-il essentiel de le préciser, tant la construction du livre évoque un documentaire.
Martin Hill, fils d’un accessoiriste de cinéma, est âgé de dix ans quand il croise la route de David Heyman, sur un plateau de cinéma où travaille son père. Le producteur de la future adaptation cinématographique des aventures du sorcier à lunettes cherche son personnage principal ; il tombe en arrêt devant l’enfant, dont le physique correspond exactement à ce qu’il recherchait. Le bout d’essai auquel il le soumet aussitôt achève de le convaincre : le gamin est doué. Le producteur est ravi : il a trouvé son Harry !
La suite de l’histoire, chacun la connaît : resté seul en lice face à Daniel Radcliffe, Martin ne sera finalement pas choisi.
Cet échec, pour le jeune garçon, marque le début du cauchemar : non seulement ses espoirs les plus fervents ont été déçus, mais l’engouement pour le film prend une ampleur si phénoménale qu’il ne peut plus faire un pas sans être confronté à l’image de celui qui l’a évincé. Tous ces camarades de classe ne parlent que du livre, les affiches du film sont placardées sur tous les murs de Londres et de Paris, où il vit en alternance entre ses deux parents. Comble de la torture, on lui rappelle sans cesse sa ressemblance physique avec le héros honni. Quant à espérer que la fièvre retombe, que la planète entière s’enflamme enfin pour une autre idole, il ne faut pas y songer : huit films sont prévus, autant dire que son calvaire est parti pour durer des années… Martin ne tarde pas à développer pour l’univers de Harry Potter une véritable phobie…
Difficile de savoir, entre les lignes, si Foenkinos fait lui aussi partie des fans de l’univers de Poudlard – l’école des sorciers – mais le début du roman, décrivant avec minutie le parcours de la célèbre écrivaine et la genèse du film, est très documenté et prenant.
Si les nombreuses références échapperont pour partie aux rares lecteurs qui ignoreraient tout de la fameuse saga – mais on peut se demander pour quelle raison ils choisiraient de lire le livre, dans ce cas – Foenkinos n’en oublie pas pour autant qu’il écrit un roman. Les déboires successifs de Martin le rendent particulièrement attachant, on suit sa pénible progression dans l’ombre de l’Autre avec compassion, tout en se demandant de quelle tragique façon tout cela va bien pouvoir se terminer.
Si l’écriture de Foenkinos est plate et sans intérêt particulier, si ses analyses psychologiques prêtent parfois à sourire tant elles sont basiques et superficielles, « Numéro deux » est cependant un roman sympathique, très vite lu et qui ravira sans nul doute les admirateurs de Harry, dont je fais partie.