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Quand une écrivaine se livre…

Cet entretien, proposé par ma chère amie la blogueuse Annie, du site « T livres ? T arts ? » est à retrouver ICI dans son intégralité.

Ma chère Catherine, quel plus joli cadeau que cette interview pour clôturer l’année 2020, une année tout à fait particulière ? Tout d’abord, et cette question est loin d’être anodine, comment vas-tu ?

Je vais très bien, je te remercie. Le contexte est assez morose, il faut le reconnaître, mais tous mes proches sont en bonne santé et je suis d’un naturel extrêmement positif. Donc je me dis que j’ai de la chance par rapport à beaucoup, et je patiente bien sagement en attendant que les choses aillent mieux.

Tu es Médecin urgentiste de profession, c’est bien ça ?

Mon autre profession, oui ! L’année, de ce point de vue, a été particulière aussi. Qui sait, j’en tirerai peut-être un roman un de ces prochains jours… (on ne se refait pas)

Nous avons donc eu la chance de nous rencontrer il y a quelques années maintenant sur le Salon du Livre de Paris, un moment inoubliable qui m’a permis de découvrir ta plume avec « Le cas singulier de Benjamin T. » mais ça n’était pas ton premier roman. Raconte-nous ton rapport à l’écriture…

Mon rapport à l’écriture est un peu compulsif ! « Le cas singulier de Benjamin T. » qui, en effet, nous a permis de nous rencontrer, était mon 5ème roman publié. Depuis, j’ai continué – sans surprise – à beaucoup écrire, en publiant un roman et en participant à trois recueils de novellas fantastiques… pour ne parler que de ce qui est déjà paru. 

Pour rester un peu sur « Le cas singulier de Benjamin T. », les sujets de la santé mentale et des hallucinations y sont explorés minutieusement. Est-ce que tu as puisé ton inspiration dans ta vie professionnelle ou bien avais-tu envie, par une fiction, d’aller sur un terrain de jeu inconnu ?

Un peu les deux, je pense. Il est clair que le fait d’être médecin m’a aidée pour imaginer le personnage de Benjamin, un ambulancier atteint d’épilepsie. Le contexte dans lequel il évolue, sa maladie, l’hôpital ou l’univers des essais thérapeutiques, sont des domaines familiers pour lesquels je n’ai pas eu besoin de beaucoup me documenter.

En revanche, pour ce livre dont une partie de l’intrigue se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale, j’ai effectué un important travail de recherche historique. Il s’agit d’une fiction, mais mes héros sont confrontés à des événements et à des personnes qui ont réellement existés. Il était très important pour moi de ne pas commettre d’erreur en mettant en place ce décor spécifique. 

Ce n’était pas une corvée, bien au contraire. Je suis une fand’Histoire et j’ai pris un immense plaisir à décortiquer la période et les lieux qui m’intéressaient.

Photo Annie Pineau

Tu souhaitais honorer la mémoire d’hommes et de femmes qui se sont battus par le passé pour que la Haute-Savoie, et notamment le petit village de Saint-Calixte, demeure française. Pourquoi ?

La Résistance au sens large du terme, le combat pour défendre ses idées, la lutte contre l’oppresseur sont des thèmes extrêmement classiques en littérature.

Mon roman se situe pour une grande part dans le maquis de Haute-Savoie, en effet, mais j’aurais pu choisir une autre guerre, un autre pays.

D’ailleurs, si les dates, les faits et les personnages historiques sont réels, comme je l’ai dit plus haut, le village de Saint-Calixte est, lui, fictif.

En réalité, ce qui m’importait surtout était de transporter mon héros, Benjamin, de son époque contemporaine à un passé à la fois proche et tumultueux. La Seconde Guerre mondiale était donc le choix idéal pour l’intrigue que j’avais en tête.

Dans la même veine, est sortie en 2020 « La Dormeuse », un roman dont l’exercice littéraire est juste vertigineux. Au fur et à mesure que je le lisais, je voyais les personnages se construire sous mes yeux, un peu comme si j’étais au théâtre et que, sur scène, deux décors se distinguaient avec une porosité hallucinante malgré les deux milles années d’écart. Peux-tu nous en dire quelques mots et nous expliquer comment tu en as eu l’idée ?

Tu as raison, « La Dormeuse » est en quelque sorte le prolongement de Benjamin. Les passages d’une époque à l’autre y sont plus complexes, puisque trois lignes temporelles s’entremêlent : une narration contemporaine où Marie, une écrivaine au crépuscule de sa vie, dicte son dernier livre à Sofia, son auxiliaire de vie ; une seconde intrigue revenant sur l’adolescence de Marie et l’époustouflante expérience qu’elle va vivre à Pompéi alors qu’elle a seulement 18 ans ; enfin, un retour-arrière de deux millénaires, toujours à Pompéi, mais cette fois en l’an 79, à quelques jours de l’éruption du Vésuve.

Les intrigues se croisent, s’intercalent et se répondent jusqu’au dénouement final qui permet de les relier.

Comme la plupart des écrivains, je serais incapable de te dire précisément comment m’est venue l’idée. Avec Benjamin, j’avais expérimenté l’élaboration d’une fiction rencontrant la vérité historique, mâtinée d’un soupçon de fantastique, et l’exercice m’avait plu. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de me rendre à Pompéi. La cité pétrifiée que nous connaissons aujourd’hui est aussi fascinante que le mode de vie à l’époque antique et les récits que Pline le Jeune a pu faire de l’éruption. Entre présent et passé, j’ai choisi de ne pas trancher !

Photo Annie Pineau

Donc, on en sait maintenant un peu plus sur l’idée… quant à la construction narrative, peux-tu nous expliquer comment tu as travaillé à l’édifice ?

Avant de commencer la phase d’écriture proprement dite, j’ai défini les trois lignes temporelles et leurs événements-clés, ainsi que les nœuds de l’intrigue, là où les récits se rejoignent (je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler l’histoire, bien sûr !).

Ce qui est un peu compliqué dans ce type de construction est qu’il faut bâtir quatre romans en un : 3 intrigues qui, d’une certaine manière, pourraient se suffire à elles-mêmes, c’est-à-dire avec un début, une problématique et un certain nombre de ressorts dramatiques, et une fin. Puis un quatrième niveau qui englobe les trois autres.

Dit comme ça, je me rends compte que ça semble compliqué ! Ce que je viens de t’expliquer est en fait une analyse a posteriori, car une fois les bases posées, j’ai laissé faire les personnages et ce sont eux qui m’ont emmenée où ils voulaient. Si on s’attache trop à prévoir le moindre petit détail, on ne commence jamais le premier chapitre…

Pour ce type d’épreuve littéraire, je t’imaginerai assez bien dans une pièce de ta maison dédiée à la réalisation d’un puzzle à taille humaine. C’est un peu ça ou pas du tout ?

 Ah, le fantasme de l’écrivain contemplant le mur de son bureau constellé de post-it !

Je reconnais que j’ai pris pas mal de notes et que j’ai dessiné une sorte de frise chronologique avec des flèches qui partaient dans tous les sens pour ne pas me perdre, mais ensuite les choses se sont enchaînées assez naturellement.

Cette histoire de post-it est un vague fantasme personnel qu’il faudra que j’expérimente un jour, ceci dit. 

Et les personnages ? Est-ce qu’ils t’apparaissent quasi achevés quand tu te lances dans l’écriture ou bien te laisses-tu porter par leurs propres aventures pour en affiner la psychologie, la vie au sens large du terme.

En fait, les deux à la fois.

J’entends par là que dans la phase qui précède l’écriture, je réfléchis et je fouille davantage les personnages que l’intrigue elle-même. Quand je commence à écrire, je peux n’avoir qu’une idée encore globale de la trame, voire ne pas savoir exactement ce qui se passe à la fin, mais j’ai besoin de bien connaître mes personnages pour commencer à écrire.

D’une certaine façon, c’est logique : au début de l’histoire, eux non plus ne savent pas ce qui les attend, ils le découvrent en même temps que le lecteur. En revanche, leur personnalité et leur vécu sont déjà là, et il est essentiel que je les connaisse bien dès le premier chapitre pour leur donner une âme, une profondeur fondamentale pour que le lecteur s’attache à eux.

Cependant, il arrive que les personnages me surprennent, qu’ils prennent des initiatives étonnantes, révèlent des traits de caractère que je n’avais pas anticipés au fil de l’intrigue. Ainsi, un héros secondaire peut s’imposer sur le devant de la scène ou, a contrario, un personnage principal décéder de façon impromptue, un bon devenir méchant ou inversement.

Ces retournements de situation sont plus ou moins décrits par tous les écrivains et, le plus souvent, je dirais qu’il faut bien se garder de contrarier les personnages lorsqu’ils prennent les commandes. Leurs idées sont meilleures que celles de l’auteur, en général.

Le roman n’est que la partie visible de l’iceberg de tes capacités littéraires. Je crois que tu aimes aussi beaucoup les nouvelles, n’est-ce pas ?

J’ai effectivement des « phases » nouvelles. Contrairement à un certain nombre de mes confrères, je n’ai pas débuté par les nouvelles pour passer ensuite au roman.

J’ai commencé à en écrire sur le tard, il y a quelques années. J’étais entre deux projets d’écriture et je ne voulais pas m’attaquer tout de suite à un nouveau roman, car une période de correction m’attendait pour ma prochaine publication. 

Quand je me lance dans un projet, je déteste devoir le suspendre, ne serait-ce qu’une semaine ou deux. Le format court était donc la solution. Je me suis amusée à répondre à des appels à texte pour des concours ici ou là. L’écriture sous contrainte (thème imposé, longueur de texte) est un exercice intéressant. 

Contrairement à ce qu’on entend parfois dire, l’écriture d’une nouvelle n’est pas du tout comparable à celle d’un roman. Il y a des contraintes de rythme, de concision de l’intrigue, il faut taper vite et fort, et surtout que la chute soit spectaculaire. C’est à mon sens le secret d’une nouvelle réussie et, mine de rien, c’est extrêmement technique. Mais si on y arrive, c’est réjouissant !

Qui plus est, dans le champ du fantastique. C’est un genre à part entière, non ? 

Bien sûr, le fantastique est un genre à part entière. Il existe d’ailleurs de nombreux sous-genres la fantasy, la bit-lit, l’urban fantasy… Je ne les connais pas tous, je l’avoue ! 

J’ai un goût particulier pour l’urban fantasy : l’histoire commence dans le monde réel, avec un héros très normal à qui on peut s’identifier… puis le héros découvre l’existence d’un autre monde magique, des peuples dotés de pouvoirs, par exemple, coexistant en secret avec les humains conventionnels. 

Cela laisse une immense place à l’imagination, tout en obligeant à conserver un cadre et des repères connus. Cette coexistence entre réalisme et merveilleux me plaît particulièrement.

Côté édition, tu es passée des Escales à Okama. Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui te lie maintenant à cette maison d’édition ?

L’aventure aux Escales a été une grande chance pour moi. Le fait d’être éditée dans une maison parisienne est le fantasme de beaucoup d’auteurs et, en effet, j’ai eu affaire à une équipe très professionnelle et cela m’a permis de participer à des salons internationaux, d’avoir une visibilité dans certains médias… et de te rencontrer, bien sûr ! Cependant, depuis la parution du « Cas singulier de Benjamin T. », l’équipe a changé plusieurs fois, et leur ligne éditoriale actuelle ne correspond plus vraiment à ce que j’écris.

Les éditions Okama et Laurence Malè, leur fondatrice, sont arrivées à point nommé pour accueillir mes incursions de plus en plus marquées dans les domaines du fantastique et de l’imaginaire. Laurence m’a fait confiance et j’ai eu l’honneur, outre « La Dormeuse », de participer à trois recueils de nouvelles aux côtés d’autres auteurs (« L’étrange Noël de Sir Thomas » en 2019, et « Léa » et « Nuits blanches en Oklahoma » en 2020).

Nous nous entendons extrêmement bien et d’autres parutions sont déjà prévues chez elle.

Tu as des projets je crois…

 Effectivement, 2021 va être une grosse année pour moi !

Attention, ce qui suit n’a pas encore été révélé officiellement, tu tiens donc un scoop !

Au printemps, « Les inexistants », un roman auquel je tiens beaucoup, sortira chez BSN Press, une maison d’édition suisse spécialisée dans le roman noir et le polar. C’est donc un tout autre genre auquel je me suis attaquée. L’histoire de trois personnages singuliers qui se croisent, le temps d’une nuit, dans un petit restaurant de bord d’autoroute : une serveuse, un migrant irakien et un marginal… ceci alors que, dans cette petite ville de province, sévit un tueur en série. 

J’ai également été invitée à écrire une nouvelle pour une anthologie autour de la thématique d’Halloween, aux côtés d’autres auteurs, pour une autre maison suisse. Elle devrait paraître à l’automne.

Enfin, à l’automne 2021 également, sortira le premier tome de ma toute première série fantastique ! C’est encore un peu tôt pour te livrer tous les détails, mais je peux te dire qu’il y aura du suspense et surtout beaucoup d’humour. J’ai créé un univers assez déjanté peuplé de créatures improbables et caractérielles et truffé de situations cocasses et décalées. Après cette année difficile, je crois qu’une histoire légère et drôle, avec des personnages attachants et émouvants, sera particulièrement bienvenue. Je suis actuellement en train d’écrire le tome 2 et que j’y prends un plaisir fou !

Et puis, tu viens tout juste de te lancer dans une nouvelle aventure, sur la toile cette fois, avec la création d’un blog et la diffusion d’une newsletter régulière. Peux-tu nous en dire plus ?

Oui j’avais un peu de temps, le jeudi entre 16 :00 et 16 :25, alors je me suis dit « pourquoi pas ? »

Plus sérieusement, comme nous le savons tous, 2020 a été une catastrophe pour le milieu de la culture. Même si les écrivains s’en sortent forcément mieux que les artistes de théâtre, les musiciens ou autre, nous avons tout de même été privés des dédicaces et des salons littéraires qui sont l’occasion de présenter notre travail et d’aller à la rencontre de nos lecteurs.

Cela m’a fait réfléchir à la manière de contourner le problème pour maintenir le lien avec mes lecteurs. Les réseaux sociaux sont évidemment un outil intéressant, mais les publications sont très éphémères et les interactions limitées par des algorithmes sur lesquels nous n’avons pas de prise. J’avais déjà un site internet depuis quelques années, mais la plateforme qui m’hébergeait n’offrait pas la possibilité de créer une newsletter et les fonctionnalités étaient réduites.

Avec l’aide de mon fils Guillaume, j’ai donc retroussé mes manches pour concevoir un nouveau site internet.

J’ai effectivement créé un blog, où je compte proposer régulièrement des articles sur mon quotidien d’écrivain, ainsi que des anecdotes, des mini-nouvelles, inspirées notamment de mon travail de médecin (puisque jusqu’ici, je n’ai pas spécifiquement exploré ce domaine dans un roman… mais qu’il y a beaucoup à raconter !)

Je ne veux surtout pas harceler mes abonnés avec des newsletters trop fréquentes : il y en aura une à deux par mois avec, chaque fois, du contenu exclusif qui ne sera accessible que pour eux : nouvelles inédites, extraits de romans à paraître, découverte de la couverture des prochaines publications en avant-première, etc.

Pour s’abonner, rien de plus simple : il suffit de se rendre ICI !

Et dans cet emploi du temps on ne peut plus chargé, arrives-tu encore à trouver un peu de temps pour lire ?

 Oh oui ! Un écrivain qui ne lit pas, c’est impossible ! Je suis une boulimique de lecture et une des meilleures clientes de la bibliothèque de ma ville (ce qui présente un autre avantage : à force, les bibliothécaires sont devenues des amies qui se mettent en quatre pour me sélectionner de la documentation adaptée à chaque nouveau projet… et l’une d’elles fait même partie de mes bêta-lectrices !)

Quel est ton dernier coup de coeur ?

Moi qui ne suis pas acharnée aux découvertes de la rentrée littéraire, j’ai pourtant adoré « L’anomalie » d’Hervé Le Tellier, le lauréat du Goncourt 2020 (sans doute le côté surnaturel de l’intrigue !). 

Dans un autre genre, j’ai découvert Anne-Laure Bondoux grâce à mon éditrice, et le poétique et merveilleux « Tant que nous sommes vivants » qui m’a littéralement emportée.

Le « Comme des sauvages » de mon copain Vincent Villeminot m’a coupé le souffle, il a une façon unique de décrire la nature brute, la violence de l’homme, c’est à la fois dépouillé et poétique, je conseille vraiment. 

Et, encore dans un style différent, je ne peux que te parler dela plume d’Abigail Seran, une auteure suisse et aussi une amie (j’avoue, mais je ne cite pas tous mes amis-auteurs en coup de cœur, promis). Elle sait à merveille raconter les histoires mélancoliques, tout en retenue et en clair-obscur. Son dernier, « D’ici et d’ailleurs », vient tout juste de paraître.

Bon, je crois bien que ça fait plus qu’UN coup de cœur.

Quelle sera ta prochaine lecture ?

Après tout le monde, je viens d’acheter le premier tome du « Passe-miroir », une série fantastique française, écrite par Christelle Dabos.

J’en ai entendu dire beaucoup de bien, alors comme toujours, c’est à double tranchant et j’ai un peu peur : quand on attend énormément d’un livre, on est plus facilement déçue… J’espère sincèrement que ça ne sera pas le cas : la série comporte quatre tomes, il y a de quoi se faire vraiment plaisir !

Bien sûr, nous pourrions poursuivre indéfiniment cette discussion, le plaisir d’échanger ensemble est juste un petit bonheur mais, même les bonnes choses ont une fin, n’est-ce pas ! 

Je te remercie très sincèrement Catherine de cette interview. On est déjà dans les starting-blocks de cette rentrée littéraire d’hiver. D’ici là, je te souhaite des fêtes qui soient les plus belles possibles. J’espère pouvoir te retrouver très vite sur un salon du livre…

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