Être ici est une splendeur, de Marie Darrieussecq

Il y a plusieurs mois que ce petit livre, dont l’édition « poche » est parue en 2016, se trouve dans ma bibliothèque. Je l’avais acheté lors d’un séjour de ma mère – qui aime taquiner la toile et le pinceau – en Suisse.

Elle l’avait lu et n’avait eu qu’un mot : « Magnifique ».

Mais ma mère est peintre, donc, et raffole des biographies, ce qui n’est pas mon cas. Je me souviens l’avoir feuilleté, sans conviction, au retour de la librairie… et l’avoir reposé. Ma mère l’avait lu, l’achat était, en quelque sorte, rentabilisé.

« Être ici est une splendeur » n’a pourtant pas atterri dans la boîte à livres de la Grande Rue, où je dépose régulièrement les infortunés qui ne m’ont pas plu au point de les garder, ou ceux dont je sais que je ne les lirai pas. Un signe, sans doute.

Certains livres se dévorent à toute heure, en tout temps. D’autres ont leur moment.

Est-ce à cause de Rilke – dont je relis ces jours-ci les « Lettres à un jeune poète » – à qui Marie Darrieussecq a, pour son titre, emprunté un vers à la perfection hypnotique ? Est-ce le fascinant autoportrait de Paula, sur la couverture, qui m’a donné soudain envie de mieux la connaître ?

Car c’est bien d’elle qu’il s’agit, Paula Becker, épouse Modersohn, artiste à l’existence fugitive, née en 1876 et morte trente-et-un ans plus tard, quelques jours seulement après la naissance de son unique enfant.

Dans le sous-titre de l’ouvrage, Marie Darrieussecq précise sobrement : « Vie de Paula M. Becker ». La simple initiale pour le patronyme du mari dit assez le peu que cet homme, aimable mais fade, compta dans le quotidien de cette femme indépendante et obstinée, portée par le besoin de « devenir quelqu’un ». Car, si c’est Modersohn qu’elle épouse, c’est avec son camarade, le célèbre poète Rainer-Maria Rilke, que se noue une profonde affection, un amour chaste qui durera toute sa vie.

Dans de très courts paragraphes, semblables aux touches de couleurs que le peintre appose sur sa toile, Marie Darrieussecq brosse un époustouflant portrait de femme et d’artiste.

Tout est beau, tout est juste.

L’écriture est superbe, véritable poésie en prose où s’intercalent, sans heurt, des extraits du journal de Paula ou des vers de Rilke ; plutôt qu’une biographie linéaire et exhaustive, ce sont des moments de vie que l’auteure partage avec son lecteur, une porte entrebâillée sur une femme exceptionnelle, partie trop tôt et injustement méconnue.

C’est aussi une réflexion sur la place de la femme à l’aube du XXème siècle naissant, résolue à s’affranchir de l’incontournable « Kirche, Kinder, Küche » (église, enfants, cuisine) ; c’est, enfin, le cri d’admiration de l’écrivaine, à plus d’un siècle de distance, pour celle qui fut la première à se peindre nue, et enceinte, une audace qu’aucune femme-peintre avant elle n’avait encore osée.

Je dois le reconnaître, les mères – et la mienne, à plus forte raison – trouvent bien souvent le mot juste : Magnifique.

Chronique parue initialement sur le blog « Au plaisir de lire », à découvrir ICI.

A lire également