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Festival de Grenchen : retour de salon en anecdotes et en images

A celles et ceux qui me parlaient de la sélection des Inexistants pour le Prix du polar suisse ces dernières semaines, je répondais, avec une nonchalance étudiée, que l’essentiel était de participer, que j’étais déjà comblée d’avoir été retenue pour la compétition finale, et que je n’étais pas stressée.

Jusqu’aux deux dernières heures précédant le verdict, je ne mentais pas !

Bien que située en Suisse alémanique, la petite ville de Grenchen, dans le canton de Soleure, n’est qu’à une heure de route de chez moi…

Ou aurait dû l’être, si un incendie ne s’était pas déclaré sous un tunnel d’autoroute aux alentours de Bienne, précisément au moment où nous allions nous y engager.

Fichtre, ça démarre bien !

Résultat : un fonctionnaire de la Polizei suisse-allemande nous désigne d’un geste impérieux le bas-côté de la bretelle où quatre ou cinq véhicules sont déjà stationnés en épi. Mon mari tente une question en Hochdeutsch (le bon Allemand, pour les non-familiers des particularités linguistiques de la confédération helvétique), et l’officier lui fait une réponse longue et manifestement circonstanciée, avant d’aller s’occuper des voitures d’aval qui continuent de s’agglutiner.

« Tu as compris ce qu’il a dit ? demandé-je, pleine d’espoir.

— Rien du tout. » rétorque mon mari sobrement.

Pour une fois que nous étions à l’heure ! Heureusement, la situation finit par se débloquer, suite à la vigoureuse intervention d’une dame suisse-allemande pas commode qui fait naître dans l’esprit de l’austère policier l’idée de faire reculer tout le monde pour enfin reprendre l’autoroute en sécurité.

Merci à elle !

Et moi, stressée ? Toujours pas, je vous assure !

D’ailleurs, l’Univers est de notre côté, il n’y a qu’à voir la jolie place de parc pour notre fourgon (nous avons prévu un petit week-end en forêt noire le lendemain) qui nous attend à l’arrivée, juste à côté du camping-car de Marc Voltenauer… Les Vaudois et leurs gros bus encombrants sont dans la place, le festival peut commencer !

Dans la salle du « Parktheater » de Grenchen, j’ai le plaisir de retrouver une foule de copains et copines auteurs : Emmanuelle Robert, Catherine May, Noémie Charmoy, Laurence Voïta, , Thomas Lecuyer, Olivier Chapuis…

… Laurence Burger, Alain Bagnoud, Olivia Gerig, Marc Voltenauer, donc, Christian Lanza, Yves Paudex, ainsi que Danielle Cudré-Mauroux, également sélectionnée pour le Prix…

Le moins qu’on puisse dire, c’est que nous avons eu le temps de papoter… Les Suisses allemands ne sont pas familiers du concept de dédicaces, nous a finalement avoué la libraire, ce qui explique le peu de public présent… Néanmoins, des amies m’ont fait la joie extrême de faire le déplacement depuis la Suisse romande : merci Myriam et Helena d’être venues !

Avec ma super Myriam !

Et j’ai eu le plaisir de rencontrer enfin Yasmina, de la librairie le Baobab à Martigny, depuis le temps que j’entendais parler d’elle !

Photo de famille

La journée a filé, ponctuée d’une agréable collation sous les arbres du jardin, ainsi que d’une belle rencontre où les nominés francophones et italophones (Danielle, Andrea Fazioli et moi-même) ont pu partager avec le public (nettement plus nombreux !) quelques passages lus de leur roman, et répondre aux questions de Marc Voltenauer sur la génèse de ce dernier.

Puis l’heure fatidique a sonné, et tout le monde s’est dirigé vers la grande salle du théâtre où se déroulait la cérémonie.

Les six nominés présents (Nicolas Feuz, en dédicace dans le sud de la France, n’était malheureusement pas des nôtres), n’en menaient pas large !

Les deux heures suivantes ont été consacrées aux discours officiels, puis à la présentation de chaque auteur sélectionné, qui est venu parler – dans sa langue, heureusement ! – sur scène de son roman, mais aussi de son quotidien d’écrivain et de ses projets.

Sous le feu (bienveillant) des questions de Marc Voltenauer

Un magnifique trailer de présentation de chaque livre avait été réalisé par le formidable Thomas Kowa. Une petite vidéo exceptionnelle que je vous invite à découvrir :

De forts sympathiques moments musicaux ont émaillé la cérémonie, contribuant à faire monter la tension avec autant d’efficacité que la page de pub tombant juste au moment où Philippe Etchebest annonce quel cuisinier doit quitter Top Chef à l’issue des qualifications…

Et enfin, les lauréats ont été annoncés !

Andrea Fazioli a décroché la troisième place avec son roman « Le strade oscure », Peter Weingartner la deuxième avec « Vollmondhonig »…

Que d’émotion quand, ouvrant la dernière enveloppe, Thomas Kowa a annoncé mon nom ! J’étais véritablement sur un petit nuage, dont je ne suis pas tout à fait redescendue depuis…

En fait de discours, je n’avais rien préparé… Il m’était arrivé plusieurs fois par le passé d’être sélectionnée pour un prix littéraire et d’échouer au pied du podium, alors j’imagine que par une sorte de superstition, je me disais que si je préparais quelque chose, ce ne serait pas moi l’élue…

En définitive, je n’avais qu’une chose à dire : mon émotion, ma joie et mon infinie gratitude envers le jury, mais aussi envers vous, lectrices, lecteurs, qui me suivez et me lisez toujours plus nombreux !

Ce prix est une belle reconnaissance, et j’espère qu’il m’ouvrira d’autres portes sur le chemin de la littérature, afin de continuer de vous offrir de passionnantes histoires dans les prochaines années…

En guise de conclusion de cet article exceptionnellement long (mais l’événement était d’importance !), je ne résiste pas à reproduire ici le magnifique « Laudatio » qu’Anneli Reinhard, membre du jury, a bien voulu m’offrir.

Les Inexistants de Catherine Rolland
Discours prononcé lors de la remise du Prix suisse du polar 2023

Cher public, j’ai le privilège de dire quelques mots sur le texte lauréat du Prix suisse du Polar 2023. Les Inexistants, de Catherine Rolland, est un roman noir qui brille non seulement en tant que polar au sens strict, mais qui se distingue aussi par les thématiques qu’il soulève et par ses personnages d’une humanité remarquable.

D’emblée, le ton est donné : enfermés dans un restoroute, les protagonistes évoluent sous le regard prédateur de l’auteur d’une série de meurtres sordides. Le temps passe alors à la fois trop vite, chaque chapitre rendant l’échéance plus inéluctable, et trop lentement, chaque heure devenant interminable dans l’angoisse. Les personnages n’ont alors d’autre choix que d’attendre et de se jauger, dans un jeu de cache-cache constant.

C’est la plus grande force du roman. Les « inexistants » du titre, ce sont Camille, Noam et Maxime, des marginaux qui vivent dans l’ombre de la nuit et fascinent dans leur « inexistance ». Nous avons accès aux pensées de chacun, et pourtant nous ne savons longtemps rien d’eux. En fait, nous sommes très vite forcés d’accepter une chose inhabituelle : que l’idée que nous nous faisons de ces personnages est celle qu’ils ont construite pour eux-mêmes, et dont la proximité avec une réalité objective est tout sauf garantie.

Mensonge, rêve et réalité se confondent alors de telle sorte que les seuls événements fiables sont ceux qui se déroulent sous nos yeux – et encore. Malgré tout, des liens étroits apparaissent entre ces personnages traumatisés. C’est ainsi que l’angoisse de cette nuit décisive donne lieu à des scènes ancrées dans le quotidien le plus banal. Ils font de la pâtisserie, imaginent des projets d’avenir, tombent amoureux, se confient et finissent par se révéler, y compris à eux-mêmes… Ce contraste imprègne le texte d’une mélancolie qui ne se dissipera pas si facilement.

Avec Les Inexistants, Catherine Rolland crée une tension multiple : d’abord, la tension typique de la littérature policière, celle de meurtres dont les protagonistes sont peut-être les prochaines victimes et dont chacun pourrait tout aussi bien être l’auteur(e). Mais aussi la tension que ressentent Camille, Noam et Maxime face à leur avenir incertain. Le roman aborde les thématiques de la migration, des violences familiales et de la psychiatrie, dont le dénominateur commun est un profond sentiment d’insécurité. Cette insécurité se concrétise dans la menace meurtrière qui plane sur les personnages. D’invisible, refoulée, elle devient impossible à ignorer.

Comment remettre un prix de littérature sans parler de la forme du texte ?Catherine Rolland fait preuve d’une impressionnante maîtrise de la tension en distillant parfaitement les indices qui stimuleront notre imagination. Elle décrit dans un style sobre, et pourtant percutant, la complexité de personnages blessés par la vie au point de s’être créé leur propre réalité. Ils en ont le droit, affirme Camille dans un passage particulièrement touchant. Je cite : « Nous pouvons modeler le monde à notre avantage, personne ne s’en rendra compte […] car nous n’avons ni poids ni réelle essence. […]. Nous pouvons disparaître et renaître ailleurs, c’est notre rare privilège, à nous les sans-valeur, les insignifiants. »

Les Inexistants nous entraîne sans jamais nous laisser reprendre notre souffle : doute et méfiance se mêlent à un profond attachement pour les personnages. Catherine Rolland parvient en effet à aborder avec une grande finesse des thèmes complexes qui ne laisseront personne indifférent. Le genre policier lui permet de nous emmener dans les tréfonds les plus sombres de la psychologie humaine et de lever le voile sur des réalités souvent invisibilisées. Paradoxalement, le roman fait exister ses « inexistants », tout en nous rappelant que la psyché humaine est insaisissable. Ainsi, une question nous accompagnera tout au long de la lecture, voire au-delà : découvrirons-nous toute la vérité ?

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4 Commentaires

  1. Petite question ❓️ qui n’a rien à voir avec le livre: pourquoi parler de Grenchen (je n’ose imaginer la prononciation à la française) alors que la version welsche est Granges?
    Amitiés et bises
    Claude

  2. Bravo Catherine! Je suis super contente pour vous! Vous méritez cette belle récompense 🥇
    Amitié et à tout bientôt 😘

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