Poupées, d’Eléonore Pourriat

Je l’avoue, je ne connaissais pas cette auteure. Ce roman de la rentrée littéraire d’hiver 2021 m’a été conseillé par une amie et c’est une jolie découverte.

En 1986, Joy a 15 ans, Stella en a 16. Joy est introvertie et vit repliée sur son petit monde, entre son père, un flic trop souvent absent mais qu’elle adore, et une grand-mère moderne et indépendante qui habite aux Etats-Unis. L’univers de Stella est beaucoup plus exubérant, à la Villa Adrienne où sa mère, au caractère fantasque, ouvre sa porte à des flopées d’amis aux vies plus incroyables les uns que les autres.

Entre ces deux adolescentes que rien ne destinait à se croiser, sinon peut-être leur singulière ressemblance physique, le coup de foudre est immédiat.

Ce n’est pas seulement de l’amitié, c’est une connivence extrême, une fusion totale, un amour inconditionnel qui les comble toutes les deux.

Éléonore Pourriat raconte avec beaucoup de justesse et de simplicité cette relation rêvée, cette merveilleuse complicité que les deux jeunes filles vivent au jour le jour, persuadées, sans le dire, qu’elle durera à jamais.

L’idylle cesse, pourtant.

Du jour au lendemain, ou presque, Stella s’éloigne, puis disparaît tout à fait. Pour Joy, l’incompréhension est totale et le traumatisme, absolu. Par pudeur, par fierté ou par crainte d’avoir fait, sans le savoir, quelque chose de mal, elle ne trouve pas la force d’exiger des explications de son amie.

En amitié, on a pourtant droit à des explications. Ce n’est pas comme en amour, où tout est permis, où une rupture sans préavis est acceptable, même si elle est cuisante. Combien d’amants ne répondent plus du jour au lendemain sans qu’on s’indigne ? Par peur d’être de nouveau rejetée, je ne me suis pas risquée à te demander des comptes, c’est tout. Mes sentiments étaient disproportionnés, comme l’a été mon silence. Je t’aimais trop. Je me suis laissé déserter. Et ton mystère a pris racine.

Le reste de son existence va être bouleversé par cet abandon… jusqu’à ce qu’un jour, trente ans après, Joy ose enfin recontacter Stella.

« Poupées » commence comme un roman d’amitié, l’histoire tendre, presque légère, de deux adolescentes insouciantes à la fin des années 1980… jusqu’au point de rupture, au moment où, par une nuit de tempête homérique – et combien symbolique – à Long Island, brusquement, tout bascule.

Par petites touches, dans un style assez dépouillé et pudique, l’auteure raconte la vie désenchantée de ces deux âmes-sœurs cabossées, avant et après « l’accident », alors que l’amour, lui, n’a jamais cessé.

J’ai pris ta main en ce jour de rentrée 1986 et je crois bien que je ne l’aurais jamais lâchée, et je crois bien que tu n’aurais jamais lâché la mienne, si une autre main n’était venue se glisser à sa place, comme la patte que le loup plonge dans la farine pour amadouer l’enfant réfugiée chez sa mère-grand. Nous nous aimions tant.

Ça parle d’amour, de haine, de secrets qui empoisonnent et de non-dits qu’on s’efforce d’occulter. C’est beau et mélancolique à la fois, comme un soir d’orage qu’on regarde derrière la vitre, blotti au coin du feu, dans le salon douillet d’une maison de Long Island.

Cette chronique est parue initialement sur le blog « Au plaisir de lire » (l’original est à découvrir ICI)

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