Les cerfs-volants, de Romain Gary
Après mon coup de cœur pour La Promesse de l’aube (chronique ICI), j’ai choisi « Les cerfs-volants » pour poursuivre mon exploration de l’œuvre de Romain Gary, encouragée par ma chère amie Annie du blog @T’livres T’arts. Il s’agit là du dernier roman écrit par l’auteur, quelques mois seulement avant son suicide en 1980.
On y retrouve les ingrédients qui m’avaient déjà charmée chez Gary
Beauté de la langue, puissance évocatrice, personnages marquants et toujours, cet humour surgissant par surprise au détour d’une phrase, marque de fabrique de l’auteur.
Ludo Fleury est un jeune orphelin, élevé par son oncle Ambroise. Ce dernier est considéré par tous les habitants de leur village normand comme un doux illuminé, passionné de cerfs-volants. Le point de départ du roman, plus que le passe-temps familial qui lui donne le titre – et qui se révélera beaucoup plus engagé et symbolique qu’il n’y paraît – est la rencontre de Ludo avec Lila, une jeune Polonaise en vacances dans les environs.
Le coup de foudre immédiat – de la part de Ludo, du moins – rappelle furieusement l’inoubliable rencontre de Romain avec Valentina dans « la promesse de l’aube », quand la cruelle enfant l’oblige à manger sa chaussure pour lui prouver son amour. Ici, même s’il ne s’agit que de lui ôter tout un panier de fraises de la bouche, la jeune fille est tout aussi consciente de la fascination idolâtre qu’elle exerce sur le pauvre garçon, et en joue pareillement en ne donnant plus aucun signe de vie durant plusieurs années. Il en faudrait beaucoup plus pour décourager Ludo, alors âgé de 10 ans, qui n’aimera jamais aucune autre femme que Lila.
Cet amour absolu, magnifique, est le socle de ce merveilleux livre, auquel viennent se greffer toute une constellation d’intrigues parallèles et de personnages sublimes, qu’ils soient principaux ou secondaires.
Lorsque survient la guerre, Ludo s’engage naturellement dans la Résistance, l’occasion pour Gary de dépeindre de l’intérieur le quotidien des maquisards dont il a lui-même fait partie. L’auteur nous offre une extraordinaire galerie de personnages, tous différents, tous inoubliables. Marcellin, le restaurateur bougon du « Clos joli », Madame Julie, la pute au grand cœur, ou encore Hans, officier allemand opposé aux nazis et surtout cousin de Lila et amoureux d’elle, source d’une rivalité ambiguë et poignante avec Ludo… pour ne citer qu’eux.
L’écriture est parfaite, à la fois précise, poétique, recherchée et simple à la fois. Les descriptions sont immersives mais ne s’éternisent pas, l’action et les rebondissements sonnent juste, tout tombe à propos, merveilleusement.
Quatre décennies après avoir été écrit, dépeignant une époque remontant presque à un siècle, puisque l’histoire débute dans les années 1930, ce bijou littéraire est merveilleusement moderne et se dévore d’une seule traite.