La promesse de l’aube, de Romain Gary

Romain Gary a écrit en 1960 ce magnifique roman, inspiré de sa vie et surtout de sa relation fusionnelle avec sa mère, Mina. Si l’auteur affirme que l’œuvre n’est pas strictement autobiographique, il y livre un portrait de femme extraordinaire, évoquant avec autant de ferveur aimante, de dérision ou, parfois, d’agacement, cette mère envahissante, épuisante par bien des aspects, mais si touchante dans l’amour inconditionnel et idolâtre qu’elle voue à Romain, son fils unique.

De la Russie où l’auteur est né, jusqu’à la Pologne des années d’enfance et enfin à la France, le lecteur suit avec délice les tribulations du petit garçon devenant peu à peu un homme.

L’écriture est magnifique, vibrante d’énergie et d’émotion. Gary possède cette grâce, accordée seulement aux plus grands, de savoir manier le verbe dans une forme complexe, travaillée, qui pourtant ne laisse à la lecture qu’une sublime sensation de simplicité et d’évidence. Le texte est émaillé de nombreux passages épiques, racontés bien souvent avec un humour d’une ahurissante efficacité.

Citons par exemple celui, fameux, où le jeune Romain s’oblige à manger sa chaussure dans l’espoir de plaire à sa première amoureuse, une cruelle fillette d’une dizaine d’années.

Ceux où il s’ingénie à trouver le pseudonyme qui lancera sa carrière d’écrivain à succès, ou les diverses activités artistiques ou sportives auxquelles sa mère le fait initier, en pure perte.

Ou encore, l’inénarrable confrontation de Gary, devenu diplomate, avec un rival d’enfance au sein d’une ambassade, et sa façon de retomber immédiatement à l’époque fougueuse de sa jeunesse et des défis les plus improbables, en enjambant in extenso le rebord d’une fenêtre, sous les yeux éberlués de la maîtresse des lieux.

D’une rare modernité, passionnant de bout en bout, La Promesse de l’aube est un sublime roman, dont le titre énigmatique, expliqué dès les premières lignes, donne au lecteur un bel avant-goût de la lecture qui l’attend :

Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais. Chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous de la documentation. Je ne dis pas qu’il faille empêcher les mères d’aimer leurs petits. Je dis simplement qu’il vaut mieux que les mères aient encore quelqu’un d’autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n’aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine.

La bouleversante déclaration d’amour d’un fils à sa mère. Une œuvre extraordinaire et intemporelle et, vous l’aurez compris, pour moi un coup de cœur.

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