La vie devant soi, d’Emile Ajar

Emile Ajar, on le sait, est le pseudonyme par lequel Romain Gary a allègrement mystifié, en son temps, le petit microcosme littéraire parisien. Déjà lauréat du prix Goncourt sous son premier nom de plume en 1956 pour « les Racines du Ciel », il n’aurait jamais dû recevoir une seconde fois l’illustre récompense, en vertu du strict règlement du Prix. C’est pourtant ce qui arriva, lorsque « La vie devant soi » fut couronnée en 1975, la véritable identité de celui qui se cachait sous ce prête-nom n’ayant jamais été révélée.

On peut néanmoins pardonner leur erreur aux membres du jury, et comprendre qu’ils n’aient pas su reconnaître dans ce roman la plume extraordinaire de Gary. Dans « La vie devant soi », en effet, le narrateur est un enfant (de 10 ans et de 14 ans à la fois, comme vous le comprendrez en lisant !), Mohamed, dit Momo, élevé par une ancienne prostituée juive à Belleville, un quartier populaire parisien.

Madame Rosa – c’est son nom – s’est reconvertie, l’âge venant, dans la garde clandestine de la progéniture de ses ex-collègues, ce qui fait de Momo, selon ses termes, « un enfant de pute ».

Cette figure maternelle de substitution n’est pas exactement celle dont l’enfant aurait pu rêver. Il la décrit, sans compassion aucune, moche, grosse, presque sans cheveux et de moins en moins capable de monter et descendre les cinq étages de l’immeuble sans ascenseur. Mais ces deux-là s’aiment, à leur manière taiseuse et un peu fruste, et leur plus grande peur est d’être séparés.

Autour de ce duo improbable, gravitent une multitude de personnages secondaires extraordinaires, splendides et pathétiques à la fois comme sait si bien – car là, oui, on le retrouve ! – les dépeindre Gary. Citons M. Hamil, un vieil Algérien marchand de tapis, Mme Lola, « une travestite qui se défend au bois de Boulogne » (notons au passage le vocabulaire bien à lui du jeune Momo) ou les quatre frères Zaoum, déménageurs de leur état, qui se relaient pour trimballer Mme Rosa sur leur dos quand le transit entre les étages s’avère finalement nécessaire.

Si « La vie devant soi », malgré son humour et son histoire touchante, ne m’a pas autant transportée que « La Promesse de l’aube » ou « Les cerfs-volants« , il s’agit néanmoins d’un roman brillant, classique incontournable que je suis ravie d’avoir enfin découvert.

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