Paris-Briançon, de Philippe Besson

C’est toujours une joie d’ouvrir le nouveau roman d’un auteur aimé. Le plaisir qu’on a éprouvé à lire les précédents nous procure une délicieuse excitation d’anticipation. On s’attend à retrouver les mots, la plume, les émotions qui nous ont jadis emportée. Nul besoin de lire la quatrième ni de savoir de quoi le bouquin va parler.

C’est du Besson. Forcément, on va aimer, comme on a aimé « Son frère », « La maison Atlantique » ou le sublime « Dernier Enfant » (ces deux derniers chroniqués sur le blog).

On achète, les yeux fermés, et on gravit sans appréhension le marchepied de l’Intercité de nuit 5789 avec ses nombreux personnages.

Ils sont montés en gare d’Austerlitz. Ils se rendent à Briançon pour des raisons très dissemblables ; pour des vacances ou un week-end en altitude, à respirer l’air frais de la montagne ; pour vider, avant de la vendre, la maison d’une mère décédée récemment ; ou parce que c’est là qu’ils vivent, simplement.

Ils ne se connaissaient pas. Au hasard d’une nuit commune et de leur place attribuée à une voiture et un compartiment, ils vont se rencontrer, se croiser, se connaître, parfois jusqu’à l’intime.

Mais Besson prévient, dès les premières pages : cette nuit, certains vont mourir.

Tour à tour, au fil des très courts chapitres que l’auteur affectionne, il nous présente les héros de ce drame condensé. Il y a Alexis, médecin généraliste quadragénaire et homo, Victor, un jeune sportif introverti ; Catherine et Jean-Louis, partis se ressourcer quelques jours avant la prochaine chimio du mari ; Marine, Dylan et leurs copains ado, en route pour le chalet des parents d’Enzo et la promesse d’un week-end arrosé et festif ; il y a encore Julia et ses deux enfants, mère désormais célibataire après l’épreuve de la violence conjugale ; Serge, un représentant un peu minable, un peu lourdingue mais qui, à sa décharge, se rend compte de ce qu’il est.

C’est là, d’ordinaire, que la magie opère et que Besson excelle : raconter les vies, les failles, les désirs inassouvis, les rêves secrets et les espoirs enfuis. L’auteur, on le sait, est un sentimental et un très fin analyste de l’âme humaine. Il parvient mieux que personne à donner à ses personnages une vibrante profondeur, une fragilité qui nous les rend presque réels…

D’une certaine façon, dans « Paris-Briançon », le contrat est rempli.

Chaque héros a son chapitre, son moment, à part peut-être les jeunes gens, considérés de façon collective et plutôt rapidement, comme si Besson, n’ayant pas lui-même d’ados à la maison, n’avait pas voulu se risquer à les dépeindre de trop près de peur de taper à côté ? Il avait pourtant admirablement réussi l’exercice dans « Le Dernier enfant », mais qu’importe, l’auteur choisit librement sur qui porter la lumière, dans le fond.

On écoute donc, tour à tour, les confidences intérieures des héros, leurs peurs, leurs élans, leurs regrets. Le train continue de rouler vers son destin à travers la France endormie.

Et même si, assurément, Besson connaît le job, ça ne prend pas tout à fait. Bien sûr, l’intrigue progresse correctement, les personnages sont bien individualisés et détaillés, mais voilà, je ne m’y suis pas attachée.

Était-ce de savoir que tous n’arriveraient pas au bout du voyage, que pour certains, la mort serait au rendez-vous ? Il est possible en effet que ce procédé narratif un peu basique – dont l’auteur avait notamment usé dans « La maison Atlantique », et de façon plus efficace – m’ait encouragée à me tenir sur mes gardes, à ne pas trop les aimer.

Mais je crois, plus sûrement, que c’est l’absence de surprise, la banalité globale de l’histoire, qui m’a gênée.

Les passagers de l’Intercité 5789 m’ont semblé prévisibles, leurs caractères étonnamment « clichés » : l’homosexuel assumé et celui qui se découvre ; la vieille syndicaliste, un peu usée, qui retrouve sa fougue militante, au contact des mômes qui ressemblent à ce qu’elle a été ; la mère courage qui rumine ses illusions envolées et le représentant, vulgaire et pathétique mais qui se rattrape à la fin…

Est-ce parce que je commence à bien connaître Besson ? Je n’ai éprouvé nulle surprise, nul emportement… jusqu’à la tragédie finale qui m’a laissée de marbre. En aurait-il été autrement si elle n’avait pas été annoncée ?

L’écriture, enfin, a été mon second motif de déception. Moi qui avais vaillamment résisté à l’envie de corner chaque page (sacrilège !) du « Dernier enfant », tant la plume était maîtrisée, la poésie et la musique du texte d’une affolante beauté, j’ai trouvé celui-ci plus terne, sans fulgurance particulière.

Bien sûr, je le répète, le roman se lit facilement et, malgré tout, on s’intéresse à l’histoire. Écrite par n’importe quel autre auteur, j’aurais sans doute trouvé l’œuvre très réussie.

Venant de mon cher Philippe Besson, un de mes auteurs favoris, je dirais que c’est un bon roman, mais largement inférieur à ce que nous offre habituellement son immense talent.

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