Balles neuves, d’Olivier Chapuis
Il y a plusieurs années que je connais Olivier Chapuis. Écrivain lausannois, il est un ardent défenseur de la littérature suisse romande et a présidé durant de nombreuses années l’Association Vaudoise des Écrivains (dont il est encore un membre actif). Il publie régulièrement sur les réseaux sociaux, Facebook notamment, d’incisives tranches de sa vie d’auteur, où il sait faire preuve d’un sens de l’autodérision réjouissant. J’adore son sens de l’humour et ses anecdotes pétillantes sur la Suisse, les Suisses et leurs petits travers ; quant à ses « Brèves de salons », décrivant ses désillusions d’auteur timide et n’ayant pas le soutien d’une médiatisation pour trouver son public, elles sont un vrai régal d’humour décalé et d’ironie parfois mordante.
C’est donc avec beaucoup de curiosité et de plaisir que je me suis attaquée à « Balles neuves », ouvrage court mais dense publié aux éditions suisses BSN Press en 2020.
On y fait la rencontre d’Axel Chang, le terne employé d’une grande surface, rayon électroménager. Marié à une épouse qu’il aime sincèrement, père de deux enfants, son ambition principale, au moment où débute l’histoire, est d’obtenir enfin la promotion qu’il espère depuis des années. En apprenant qu’il ne fait pas partie des heureux bénéficiaires, son moral est durement atteint ; pourquoi, dotés d’un capital sensiblement identique à la naissance, certains humains sont-ils toujours à la traîne, jamais favorisés par le sort et éternels seconds rôles alors qu’à d’autres, tout réussit ? C’est partant de ce constat tristement universel qu’il développe une obsession jalouse pour l’icône suisse des courts de tennis : Roger Federer.
Le sportif – dont l’auteur réduit l’identité à deux initiales, RF – représente en effet tout ce qu’Axel n’est pas : tout ce qu’il touche se transforme en or, il est adoré par les foules et – amère cerise au sommet d’un gâteau déjà écœurant – admiré sans réserve par sa propre femme. D’une obsession ne peuvent naître que des sentiments passionnés : amour ou haine, c’est selon.
Dans le cas de notre anti-héros, ce sera évidemment une haine farouche qui l’emportera, sous-tendant tout le roman, s’aiguisant jusqu’à l’inéluctable dénouement.
Olivier Chapuis utilise le prétexte de cette inquiétante obsession pour brosser un portrait fouillé de son pathétique personnage principal et de son environnement. L’écriture est très travaillée, les phrases longues et les descriptions, émaillées de réflexions souvent incongrues et drôles, dans un style assez proche des « Brèves » de l’auteur que j’évoquais plus haut. Originalité intéressante dans la construction du roman : Olivier Chapuis se met en scène ou, du moins, intercale entre les pages de l’intrigue des chapitres consacrés à sa genèse ; confrontation entre le narrateur – un écrivain pétri de doutes, cherchant encore son lectorat – et un vieil ami, auteur à succès, qu’il charge de critiquer son œuvre en cours d’écriture.
Cette mise en abîme est une occasion pour l’auteur de livrer sa vision de son travail, les difficultés inhérentes au métier de romancier et les désillusions face au succès inexpliqué de certains romans, de qualité moindre – pour aussi subjectif que puisse être ce jugement – alors que tant de chefs-d’œuvre passent inaperçus.
C’est un roman singulier, un peu inclassable.
On le lit avec curiosité, se demandant par moment où diable Olivier Chapuis veut en venir, question à laquelle il répond partiellement dans les dialogues de l’auteur et de son mentor ; on pourra regretter que RF, dont les initiales s’affichent plusieurs fois à chaque page, n’y ait pas trouvé un rôle plus actif, tout en comprenant combien l’appropriation d’un personnage aussi illustre – et toujours vivant ! – peut être un périlleux exercice en littérature. On se consolera de cette frustration grâce à une confrontation finale assez abrupte et déroutante, mais qui conclut le roman avec une logique implacable, comme l’explique l’auteur dans le tout dernier paragraphe.
En somme, un intéressant exercice littéraire et une plume qui mérite d’être découverte.
Cette chronique est parue initialement sur le blog « Au plaisir de lire » et vous pouvez la découvrir ICI.