Les vrais héros ne noient pas les chatons (ou bien si ?)

Mes secrets d’écrivain pour construire des personnages de roman inoubliables


Récemment, je vous ai posé une question sur les réseaux sociaux (peut-être avez-vous vu passer mon petit sondage et y avez-vous répondu, dans ce cas : un grand merci !). Je vous demandais ce qui, pour vous, faisait un bon roman.

Vos réponses, nombreuses, pourraient être résumées de la façon suivante :

  1. Vous voulez des personnages inoubliables, des héros qui vous marquent.
  2. L’intrigue doit être très bien ficelée, crédible et si riche en rebondissements que vous n’arrivez pas à lâcher le livre.
  3. Il doit y avoir de l’émotion.

Plusieurs d’entre vous ont aussi évoqué la qualité de l’écriture. J’avoue que pour moi, en tant que lectrice, ce dernier point est lui aussi fondamental : j’attache autant d’importance à la forme qu’au fond. Il m’est déjà arrivé de lâcher un roman dont j’appréciais l’histoire, parce que je le trouvais trop « mal écrit ».

Cette notion est certainement subjective, et la question du style mériterait bien un article entier…

Mais si vous le voulez bien, aujourd’hui, nous allons parler d’héroïsme, et je vais partager avec vous la façon dont je travaille, pour créer les héros de mes romans.

Le fichu dilemme de la poule et de l’œuf

Doit-on commencer par créer l’histoire ou les personnages ?

En vérité, il n’y a pas vraiment de règle. La réponse dépend de chaque écrivain, même si, pour un même auteur, il n’est pas rare que cela varie d’un livre à l’autre.

Héros en premier ?

Pour mes premiers romans, les personnages sont nés avant l’intrigue. Bien sûr, j’avais le décor plus ou moins en tête (nature et chevaux pour Ceux d’en haut et Après l’estive, par exemple), mais j’ai d’abord travaillé sur mes différents héros avant de me pencher sérieusement sur le synopsis.

Inventer des personnages, leur donner un nom, des caractéristiques physiques, un métier… peut sembler plus facile quand on commence à écrire. On se dit qu’on développera l’histoire autour du héros, que les événements s’imposeront d’eux-mêmes et qu’on n’aura plus qu’à se laisser guider. L’idée est séduisante, mais je pense qu’elle peut engendrer deux problèmes :

  1. une intrigue inconsistante qui n’a pas d’autre but que de servir le héros, mais manque d’intérêt pour le lecteur
  2. un risque important de blocage car l’histoire n’a pas été suffisamment pensée en amont

Intrigue en premier ?

A contrario, on peut avoir une formidable idée d’intrigue ou de contexte, réfléchir en premier lieu à la problématique que l’on veut aborder et n’y insérer les personnages que dans un second temps.

C’est ce que j’ai fait dans mes romans plus récents (Le cas singulier de Benjamin T. ou La Dormeuse), où je voulais parler de voyage dans le temps et mêler petite et grande histoire… J’ai donc beaucoup travaillé la trame, la documentation, les différentes lignes temporelles avant de développer la personnalité de chacun de mes héros (même si je les avais déjà grossièrement ébauchés).

Le danger de cette technique ? Avoir une histoire incroyable, pleine de rebondissements et bien menée, mais mal servie par des protagonistes fades auxquels le lecteur ne parvient pas à s’identifier.

Vous l’aurez compris, c’est une question d’équilibre.

Le mythe du héros idéal

Madame Bovary, c’est moi. 

Si on n’est pas tout à fait sûr que Flaubert a réellement prononcé cette phrase, je crois que l’auteur du roman éponyme aurait effectivement pu le faire.

Notre héros, c’est nous, comme dit ce bon vieux Gustave.

J’ajouterais même que c’est nous, mais en mieux.

Cela peut paraître évident aux auteurs qui se lancent dans la rédaction de l’histoire de leur vie… Mais, même quand il faut aller chercher beaucoup plus loin les similitudes entre l’écrivain et ses personnages, entre sa vie et la leur, elles existent…

Est-ce un problème ? Pas forcément, bien sûr. Écrire sur soi peut être thérapeutique, et même si tout le monde n’a pas un parcours de vie exceptionnel à raconter, les histoires du quotidien sont souvent passionnantes. Je crois qu’il est, cependant, important de savoir se détacher de son héros-type (et donc, de soi-même).

Le risque, autrement, est bien d’écrire sans fin le même livre

7 grands profils de héros

En littérature, on a coutume de dire que tout a été écrit. D’une certaine façon, c’est vrai, et tous les types de héros ont été abordés dans les milliers de romans publiés chaque année. Comme on retrouve dans toute intrigue certains repères immuables, on peut brosser différents profils de héros littéraires, dont chaque écrivain s’inspire plus ou moins.

Ces quelques « portraits-robots » ne sont cependant que des modèles incomplets, auquel le talent de chaque auteur apportera les nuances qui en feront l’intérêt.

La liste n’est bien sûr pas exhaustive ! Si vous le désirez, n’hésitez pas à ajouter vos propres héros en fin d’article, dans les commentaires !

# 1 : Le gendre idéal

Le gendre idéal est sans doute le type de héros le plus rassurant lorsqu’on commence à écrire.

Le gendre idéal possède tous les charmes et les atouts que l’auteur n’a pas : il est beau, intelligent, spirituel, plein aux as… Bref, vous m’avez comprise, autant de qualités réunies chez une seule personne, c’est rarissime.

Justement, le danger est là. Un héros trop lisse, sans aucun défaut, personne n’y croira. Et si vous vous dites que vous allez vous servir de cette perfection apparente pour en faire un horrible psychopathe qui noie des chatons à la fin de votre bouquin, méfiez-vous :

Nombreux sont les écrivains qui y ont pensé avant vous et, le plus souvent, vos lecteurs les auront lus.

Et en plus, les lecteurs n’aiment en général PAS DU TOUT qu’on noie des chatons.

il ne faut pas noyer de chatons (de façon générale)

# 2 : L’anti-héros

Très apprécié dans les polars, l’anti-héros est alcoolique ; il ne se lave pas, vit dans un appartement insalubre en cohabitation avec des rats qui se planquent entre les bouteilles de whisky vides (au point qu’on le soupçonnerait presque d’avoir noyé les chatons qui auraient pu le débarrasser de la vermine…).

Le dépressif, l’angoissé chronique ou le phobique sont des variantes du précédent, qui ont pour objectif commun de faire comprendre une seule vérité au lecteur :

Ce type n’est qu’un looser, et il ne va PAS sauver le monde.

Généralement, on apprendra après quelques chapitres que son délabrement est dû, au choix, à la mort de sa femme/de son meilleur ami/de ses chatons dont il se sent responsable ; et on découvrira à la fin que ce n’était pas lui le coupable.

Bien sûr, c’est un type de personnage intéressant car il a des failles, que l’écrivain pourra se faire plaisir à exploiter pour l’amener sur le chemin de la rédemption (ou pas – rire sardonique – ).

# 3 : L’élu

Alors, là, je dis : ATTENTION !

En écrivant les aventures du petit sorcier à lunettes, J.K. Rowling a, de mon point de vue, créé une des sagas les plus brillantes de la littérature contemporaine.

Même si elle n’a rien inventé (les chansons de geste des troubadours, au Moyen-Âge, n’étaient ni plus ni moins que des préquels de Harry Potter qui s’ignoraient, et Tolkien ne s’est pas privé non plus), vous n’avez pas idée du nombre de manuscrits que les maisons d’édition spécialisées dans le Fantastique et la Fantasy reçoivent chaque année. Il y est question d’un jeune orphelin maltraité par sa famille, qui découvre soudain l’existence d’un monde merveilleux ; monde merveilleux qui, justement, attendait désespérément qu’il arrive parce que lui seul – malgré ses lunettes et sa désespérante absence de compétence dans toute forme de combat rapproché – pourra vaincre l’abominable tyran qui terrorise les habitants opprimés.

Vous m’entendez soupirer ?

Je vous le dis en toute amitié : si votre histoire ressemble un tant soit peu à la description ci-dessus et que votre ambition est d’être publié en maison traditionnelle… Franchement, réfléchissez-y à deux fois.

# 4 : Le héros malgré lui

Variante du # 2 (l’anti-héros), le héros malgré lui a pour avantage un côté naïf, touchant, qui permet au lecteur une véritable identification.

Dépassé par les événements, il se retrouve parachuté dans une situation de crise pour laquelle il n’est, le plus souvent, pas du tout armé (des chatons se noient, il ne sait pas nager). Il va devoir trouver des ressources pour faire face à l’adversité (apprendre la brasse coulée).

Si l’évolution de son caractère est intelligemment traitée, le héros malgré lui peut faire un roman extrêmement réussi.

# 5 : Le héros vraiment – mais alors, vraiment – héroïque

Variante du gendre idéal (# 1) qu’on trouve plutôt dans les romances, la littérature blanche et les récits contemporains, le héros vraiment – mais alors, vraiment – héroïque est la star des romans d’aventure, des polars ou des épopées fantastiques…

Bref, partout où il y a de l’action, il s’exprime à son plein potentiel… et celui-ci semble n’avoir pas la moindre limite.

Vous savez, le gars qui, sur Netflix, échappe à 33 fusillades, 25 accidents de voiture, 2 empoisonnements et 18 explosions par épisode, et sort de la carcasse explosée de sa bagnole avec un sourire modeste et une légère estafilade sur le front pour embrasser à pleine bouche la brune canon dans le plan-séquence final… Oui, celui-là.

Je ne dis pas que ce n’est pas bien, attention ! Moi aussi, j’adore regarder Netflix, et on a tous besoin de héros indestructibles de temps en temps. En littérature, ceci dit, la frontière est mince entre grandiose et ridicule.

# 6 : Le héros qu’on n’avait pas vu venir

Celui-là, je l’aime particulièrement.

C’est le type insipide dont on ne retient pas le nom, le faire-valoir de celui que, en début de roman, on suppose être le personnage principal.

Le fait de ne pas dévoiler tout de suite l’identité du véritable héros permet de créer de vrais retournements de situations dans l’intrigue et de provoquer chez votre lecteur des montagnes russes émotionnelles.

Ça secoue, mais moi, j’adore ça. Pas vous ?

# 7 : Le héros odieux

J’ai gardé pour la fin celui qui, à mon sens, est le plus difficile à écrire : le héros odieux.

Il faut le reconnaître : dans l’immense majorité des cas, l’écrivain aime ses personnages. Rappelons qu’ils lui ressemblent, mais qu’il les a en outre parés des qualités qu’il n’a pas, mais rêverait d’avoir… Alors, lui coller des défauts… C’est une mission, sinon impossible, du moins très difficile.

Bien sûr, il y a moyen de s’en sortir en faisant de son caractère antipathique une simple apparence, masquant une blessure intime (cf # 2 : l’anti-héros).

Il faut, je pense, une expérience d’écriture déjà solide pour réussir le tour de force de créer un personnage odieux du début à la fin d’un livre, tout en le faisant aimer du lecteur. Car c’est là que réside le défi, évidemment : rendre son héros aimable et attachant, malgré ses défauts. (Par exemple, s’il noie fréquemment des chatons).

C’est un gros risque à prendre pour un auteur (et que, personnellement, je n’ai jamais pris). La plupart des écrivains en rêvent, comme les acteurs rêvent souvent d’interpréter les rôles de méchants.

Si le pari est raté, le roman le sera aussi ; mais s’il est réussi, vous pourriez bien écrire un chef-d’œuvre !

Et vous, quels sont les héros que vous préférez ? Dites-le moi en commentaire !

Chatons ayant (apparemment) échappé à la noyade


Note de l’auteure : Aucun chaton n’a été noyé lors de l’écriture de cet article


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