Anecdotes de salon
Les salons littéraires sont un passage obligé pour un auteur.
Certains adorent et sont très à l’aise avec l’exercice. D’autres s’y plient par obligation, mais tout indique qu’ils endurent un calvaire. Ces derniers, on les trouve rarement à leur place, mais plutôt au bar ou à la machine à café. Quand, par hasard, ils sont assis derrière leur table, ils lisent le journal ou font des mots croisés. Une fois, j’ai même eu pour voisin un monsieur très détaché qui regardait une série sur son téléphone. Elle le passionnait tellement qu’il ne relevait même pas la tête quand des visiteurs s’arrêtaient devant son stand… et il se fichait bien de faire profiter tout son entourage du son poussé à fond.
Vous l’aurez compris, en salon, le spectacle se trouve des deux côtés de la pile de livres… Nous avons toutes et tous des anecdotes rigolotes, tendres ou franchement gênantes de ces longs, parfois trèèèèès longs moments passés à attendre un lecteur pas toujours au rendez-vous.
Morceaux choisis.
Moi, toute petite au milieu des grands
A moins de posséder un égo particulièrement hypertrophié, il n’est pas toujours facile pour un auteur de se sentir légitime face à des « collègues de plume » médiatiques et expérimentés. Dans les salons « locaux », tout le monde est à peu près à niveau, c’est à dire pas du tout connu . L’ambiance est bonne enfant, il règne dans la salle des fêtes ou le gymnase accueillant l’événement le même genre d’atmosphère détendue que dans les kermesses d’école de fin d’année, où on sympathise avec d’autres parents près du chamboule-tout pendant que les gamins, sur l’estrade, chantent abominablement faux la comédie musicale répétée toute l’année.
Mais je m’éloigne du sujet, car ce que je veux évoquer, ce sont les « autres » salons. Les grands, les renommés, les internationaux ; ceux où signent les locomotives de l’édition, les auteurs best-sellers devant qui les gens font la queue trois heures pour cinq secondes d’entrevue ; ceux dont l’entrée payante ne décourage pas l’afflux massif d’un public prêt à tout pour entrevoir ses stars ; ceux qui ont droit à un reportage au JT et à la visite du président de la république et d’un ministre ou deux.
Alors autant dire que quand, modeste auteure, on se retrouve conviée à une de ces énormes grands-messes de la littérature, on éprouve un singulier mélange de joie intense et de terreur irraisonnée.
Je suis invitée à la Foire du Livre de Bruxelles. Grosse pression.
Après un voyage plutôt long comprenant deux trains (dont le premier tellement en retard que si mon chéri n’avait pas tout lâché pour m’emmener à la gare suivante en voiture, je ne serais pas en train de vous raconter cette histoire. Mon chéri, ce héros), un avion, puis un chauffeur de taxi s’exprimant dans un curieux mélange de français et de néerlandais, une divine marmite de moules-frites et enfin une nuit d’hôtel heureusement réparatrice, j’arrive enfin dans l’énorme halle qui accueille l’événement.
Je suis excitée et intimidée à la fois. En allant récupérer mon badge, j’aperçois au loin un chapeau extravagant et je déduis qu’Amélie Nothomb doit se trouver en-dessous. Amélie et moi sur un même salon ? On dirait une erreur de casting, mais ça ne fait rien. Je suis décidée à profiter à fond de ce moment incroyable qui ne se reproduira peut-être jamais plus ! (l’auteur doute, j’ai dit )
Un quart d’heure plus tard, me voilà installée à ma place sur le stand d’Interforum, le diffuseur de ma maison d’édition de l’époque. Un petit panneau posé sur la table indique mon nom, et je déchiffre de biais ceux de mes futurs voisins de stand, car je suis la première arrivée. Philippe Besson. Jean Teulé. Nathalie Hug et Jérôme Camut. Oh la la. Que du lourd. Ils apparaissent, les uns après les autres, me saluent tous très gentiment et s’installent pour les deux heures de dédicace qui nous ont été allouées.
Et c’est la ruée des mouches sur le pot de confiture à peine ouvert.
Dans un bourdonnement joyeux et un rien hystérique, les fans se précipitent vers leurs auteurs fétiches, des files d’attente se forment devant mes voisins qui dégainent leur stylo et se mettent à parapher avec entrain.
Devant moi : personne.
A ce stade, vous supposez peut-être que je vais sombrer dans un état dépressif si profond qu’il me conduira à abandonner l’écriture pour me mettre au hautbois (pour lequel, je tiens à le préciser, je n’ai en réalité aucune inclination), mais que nenni ! Je suis en début de carrière, personne ou presque ne me connaît et je cohabite avec les plus illustres écrivains du moment. Je ne vendrai rien, et ce n’est pas grave du tout. Je suis heureuse d’être là, de vivre cette effervescence de l’intérieur. Rêver qu’un jour, peut-être, certains viendront pour moi parmi tous ces gens me suffit totalement.
En plus, tout le monde est très gêné et du coup aux petits soins pour moi.
Nathalie Hug est particulièrement adorable, elle n’arrête pas de me glisser des petits mots gentils du style
Pas de souci, Nathalie, je ne m’inquiète pas. En plus, j’en ai vendu UN ! La cousine d’une amie, qui vit ici et qui est gentiment passée sur ses conseils. Bref, l’honneur est sauf et tout va bien.
Je passe donc un très agréable moment, observant la foule en mode écrivain, retenant bribes de conversation, gestes anodins, visages et attitudes qui, peut-être, me resserviront un jour dans un de mes livres. Les deux heures filent très vite, et nous ne sommes bientôt plus qu’à cinq minutes du départ.
C’est alors que je vois arriver en courant une jolie jeune femme très essoufflée.
Normal, pensé-je, c’est bientôt la fin de la séance, elle avait peur de manquer son auteur préféré. Et me voici à me demander vers qui elle va se précipiter en quête de son autographe. Besson, Teulé ?
Mais, à ma grande surprise, c’est devant moi qu’elle se campe. Je vois ses yeux clairs glisser vers le petit panneau qui porte mon nom, puis vers ma pile de bouquins quasi intacte. Je me dis qu’elle va comprendre son erreur, s’excuser vaguement et fouiller du regard le reste du stand mais c’est alors qu’elle prononce cette phrase très improbable :
Je suis tellement étonnée que je dois me faire violence pour ne pas me retourner, pour être tout à fait sûre qu’elle ne s’adresse pas à quelqu’un d’autre.
Mais non, c’est bien moi qu’elle voulait voir. Moi, l’auteure toute petite au milieu des grands, dont elle avait découvert le livre à son club de lecture, et qu’elle avait aimée.
Merveilleuse rencontre qui, à elle seule, a largement justifié le voyage.
Si même l’éditeur n’y croit pas, ça va être compliqué…
Tous les auteurs traversent des moments de doute, des questionnements existentiels plus ou moins profonds et douloureux. Heureusement, dans ces phases de découragement, l’entourage est là pour nous réconforter et nous pousser à persévérer. Notre famille et nos amis en premier lieu, évidemment. Mais également notre éditeur. Dans le fond, s’il a choisi notre manuscrit parmi des centaines d’autres, c’est qu’il a aimé notre texte, qu’il croit fort en nous et en notre potentiel et qu’il nous prédit une longue et fructueuse carrière…
Voilà pour la théorie.
Des éditrices et des éditeurs, j’en ai eu plusieurs, très différents les uns des autres, plus ou moins proches, plus ou moins bienveillants. Avec certaines ou certains, une relation d’amitié s’est nouée, avec d’autres, les rapports sont restés strictement professionnels. Rien de plus normal.
Mais je garderai une place à part à celui qui, alors que je m’installais pour une séance de dédicace, a brandi sous mon nez l’ouvrage d’une auteure que je ne connaissais pas. Puis il a eu cette réflexion désabusée dont, des années plus tard, je ne suis pas certaine d’avoir totalement compris le sens :
Une voisine très amicale
A mon arrivée au salon de C., les organisateurs m’ont gentiment offert un thé. C’est avec ma boisson chaude à la main que je rejoins ma place pour la journée, aux côtés d’une auteure que je ne connais pas. C’est une jolie blonde qui doit avoir à peu près mon âge, elle a l’air sympathique et très souriante. Alors qu’elle finit d’installer ses livres sur son présentoir, je la salue et je me présente tout en m’asseyant.
J’acquiesce, un peu étonnée par son enthousiasme, et je profère une platitude sur les vertus d’un thé matinal pour affronter une rude journée comme celle qui nous attend.
Ensuite, plongeant sous la table, elle se met à fouiller frénétiquement dans son grand sac fourre-tout, et en sort un petit sachet rempli de graines rougeâtres qui ressemblent à de la nourriture pour oiseaux.
Les désignant d’un nom aux consonances vaguement latines que j’oublie aussitôt, elle l’ouvre et me le tend, le sourire toujours large mais avec, dans le regard, une lueur légèrement menaçante.
Mais, mais, je ne suis pas constipée, bon sang !
Je jette autour de moi des regards aussi furtifs qu’égarés, mais personne n’a l’air conscient du drame qui se joue à notre table. Je finis par m’exécuter et je croque une de ses graines, refusant aussi poliment que possible le second paquet qu’elle propose aussitôt de m’offrir.
Est- ce que ça marche vraiment, son truc ? Bon sang, je n’ai même pas repéré les toilettes avant de m’installer. Pourquoi est-ce que c’est toujours sur moi que ça tombe, ce genre de choses ?