Atelier d’écriture : écrire à partir d’une image
Lors du dernier atelier d’écriture que j’ai animé à Payerne en novembre dernier, j’ai proposé aux participantes d’écrire à partir d’une image extraite d’une bande dessinée.
Elles en ont tiré chacune une différente, et le défi consistait à écrire une histoire complète, avec une fin cohérente, donc, en dix minutes.
D’ordinaire, je laisse davantage de temps pour élaborer l’histoire, soigner les descriptions, l’ambiance… Pourtant, cet exercice, qui oblige à entrer directement dans le vif du sujet, à se montrer concis et percutant, a été particulièrement apprécié ! Les textes finaux étaient remarquables, avec une véritable intrigue et des personnages, malgré le nombre de signes limité, assez travaillé pour qu’on puisse s’y attacher.
J’ai hérité de cette image.
La couverture de « Klaw : l’éveil » d’Antoine Ozanam.
Si vous êtes inspirés, n’hésitez pas à poster votre histoire en commentaire, ou à la partager avec moi en privé !
Voici la mienne :
Ça s’est passé un mercredi.
Je faisais la vaisselle, Jean-Loup avait allumé la télé.
Le journal était fini depuis un moment, je me réjouissais de regarder Top chef, mon programme favori, quand j’ai entendu chanter l’hymne français et compris que je serais encore une fois privée de mes petits cuistots, ce soir. Il y avait match ! Bien sûr, j’aurais pu récriminer pour avoir gain de cause, mais j’étais lassée de nos engueulades perpétuelles, à Jean-Loup et à moi. Le mariage, disait ma mère, était une question de compromis. Certes, quand l’heure en serait au bilan, on pourrait constater que j’en avais fait sensiblement plus que ce gros lourdaud. S’il savait !
Mes orteils commençaient à frétiller.
J’ai haussé les épaules, écoutant d’une oreille mon homme s’exciter tout seul sur le canapé alors que le match venait à peine de commencer. Au moins, il n’avait pas invité Philippe, l’autre gros lourdaud qui habitait l’appartement du dessus. Quand ils étaient tous les deux devant un match, le niveau intellectuel était si bas, leurs blagues tellement navrantes que je devais constamment prendre sur moi pour ne pas aller me chercher une corde et me la passer autour du cou.
J’aurais mieux fait d’écouter ma mère, voilà la vérité. Elle le disait bien, qu’épouser un humain n’était pas raisonnable. Je n’avais pas voulu en tenir compte, bien sûr. J’avais besoin de calme, de sécurité. Envie de vivre comme eux, tranquillement, dans un appartement avec l’eau courante, un lit, l’électricité… Je pensais qu’un lourdaud de l’acabit de Jean-Loup ne découvrirait jamais mon secret. Sur ce plan-là, en l’occurrence, je n’avais pas tort. En trois ans, jamais il n’a soupçonné quoi que ce soit.
D’ailleurs, ça me fait penser que je ferais mieux d’aller prendre mes pilules. La lune ne va pas tarder à se lever, et mes orteils frétillent de plus en plus. Je sens même mes crocs qui commencent à pousser.
Renonçant à essuyer la vaisselle, je sèche mes mains et je me dirige vers le couloir. En passant, je jette un coup d’œil au salon, et c’est là que je me rends compte : le lourdaud a disparu.
Mince ! Il n’est quand même pas…
— C’est occupé ! fait la voix de Jean-Loup quand je tourne la poignée de la porte de la salle de bains.
Oh non ! Le bas du dos me gratte. Je sens que ma queue est en train de pousser. Mes oreilles s’allongent, les moustaches percent ma peau.
Bon sang, pourquoi est-ce que j’ai mis les pilules dans la pharmacie de la salle de bains ?! Pourquoi pas dans mon sac, dans mon chevet, ou à la cuisine ! A la cuisine, c’était là l’endroit le plus logique, non ? J’y passe ma vie et il n’y met jamais les pieds !
Malheur ! C’est fichu.
Je sens bien que la transformation est déjà trop avancée, que je ne pourrai pas le lui cacher… mais je tourne la poignée quand même, j’insiste…
Mes pensées sont brouillées.
Est-ce que je veux mes pilules pour interrompre le processus, si c’est encore possible… ou est-ce que l’instinct animal a déjà pris le dessus, et que les pilules sont loin d’être la raison qui me pousse à vouloir entrer ?
La chasse d’eau se déclenche.
J’entends le lourdaud grommeler en remontant sa braguette.
Je secoue la poignée tellement fort que je l’arrache à moitié.
— Bordel, lâche le lourdaud d’une voix énervée, t’as tant bu que t’es tellement pressée d’aller piss…
Puis il ouvre la porte, et n’achève pas sa phrase.